Quand Robert parle de Jonathan
Littell, père et fils
Par Frédéric Vitoux
Littell, père et fils
Par Frédéric Vitoux
L'écrivain américain raconte le tragique destin du poète Ossip Mandelstam et s'enthousiasme pour «les Bienveillantes»
En octobre 1967, l'un des journalistes vedettes de l'hebdomadaire américain «Newsweek» consacre la plus longue cover story de l'histoire du magazine au 50e anniversaire de la révolution soviétique. Ce même mois naît son premier fils.
«Est-ce par peur d'oublier son anniversaire? Je l'ai appelé Jonathan October Littell. Il a horreur qu'on lui rappelle l'existence de ce second prénom, mais c'est un fait.»
Rencontre avec Nadejda
Grand spécialiste du bloc communiste, Robert Littell multiplie les voyages dans les pays de l'Est (à l'exception de l'Albanie). A Moscou où il se retrouve en 1979, il rencontre Nadejda, la veuve du poète Ossip Mandelstam. Non pour une interview, un article à écrire (il a depuis peu renoncé au journalisme), mais pour rendre simplement hommage, avec respect et admiration, à cette femme dont le livre de souvenirs, «Contre tout espoir», l'a profondément marqué.
«Je me souviens de cet immeuble délabré, comme il avait dû l'être dès sa construction, dans la grande banlieue de Moscou, et de cette femme dans son petit appartement du rez-de-chaussée, d'une fragilité et d'une force incroyables. Quelle fut la teneur de notre conversation? Je ne m'en souviens plus mais quand elle m'a raccompagné à la porte, elle m'a dit simplement: «Surtout ne parlez pas en anglais dans le couloir!» Comme si elle ne pouvait plus s'arracher à la terreur et aux cauchemars de l'époque stalinienne, quand tout contact avec un étranger pouvait vous envoyer au goulag ou dans les sous-sols de la Loubianka avec une balle dans la nuque. C'était il y a trente ans. Depuis, je n'ai cessé de penser au livre que j'écrirai sur elle et sur Ossip Mandelstam dans les dernières années de sa vie. Ce fut une longue gestation avant de me mettre enfin au travail» .
«Est-ce par peur d'oublier son anniversaire? Je l'ai appelé Jonathan October Littell. Il a horreur qu'on lui rappelle l'existence de ce second prénom, mais c'est un fait.»
Rencontre avec Nadejda
Grand spécialiste du bloc communiste, Robert Littell multiplie les voyages dans les pays de l'Est (à l'exception de l'Albanie). A Moscou où il se retrouve en 1979, il rencontre Nadejda, la veuve du poète Ossip Mandelstam. Non pour une interview, un article à écrire (il a depuis peu renoncé au journalisme), mais pour rendre simplement hommage, avec respect et admiration, à cette femme dont le livre de souvenirs, «Contre tout espoir», l'a profondément marqué.
«Je me souviens de cet immeuble délabré, comme il avait dû l'être dès sa construction, dans la grande banlieue de Moscou, et de cette femme dans son petit appartement du rez-de-chaussée, d'une fragilité et d'une force incroyables. Quelle fut la teneur de notre conversation? Je ne m'en souviens plus mais quand elle m'a raccompagné à la porte, elle m'a dit simplement: «Surtout ne parlez pas en anglais dans le couloir!» Comme si elle ne pouvait plus s'arracher à la terreur et aux cauchemars de l'époque stalinienne, quand tout contact avec un étranger pouvait vous envoyer au goulag ou dans les sous-sols de la Loubianka avec une balle dans la nuque. C'était il y a trente ans. Depuis, je n'ai cessé de penser au livre que j'écrirai sur elle et sur Ossip Mandelstam dans les dernières années de sa vie. Ce fut une longue gestation avant de me mettre enfin au travail» .
Entre-temps, Jonathan October a grandi, écrit et publié «les Bienveillantes» avec le succès que l'on sait. Qu'est-ce qui rend complices aujourd'hui le fils et le père? Le premier vit en Espagne, écrit en français et est obsédé par le totalitarisme hitlérien. Le second vit en France (dans le Lot), écrit en américain et est obsédé par le totalitarisme soviétique. «J'ai attendu la traduction américaine des "Bienveillantes" pour prendre enfin la mesure pleinement.» Jonathan ne lui avait donc jamais parlé de ce projet, quand il était en cours de rédaction?
«Non, jamais! Jonathan est assez secret. Comme moi. On se téléphone très souvent sans évoquer nos travaux respectifs. Je savais qu'il se documentait sur ce sujet mais je ne soupçonnais rien. Par la suite, je me suis tout expliqué.»
Les goûts du père et du fils divergent à l'occasion. Jonathan cherche à faire lire Céline à Robert, et celui-ci s'y refuse. A ses yeux, l'auteur des insoutenables pamphlets antisémites est à jamais déconsidéré. Littell père préfère, de son côté, le courage d'Ossip et de Nadejda Mandelstam. Dans ce grand roman polyphonique qu'est «l'Hirondelle avant l'orage», il les met en scène en compagnie de leurs amis Anna Akhmatova et Boris Pasternak, ou de Vlassik, le garde du corps de Staline, un bouleversant athlète de foire victime lui aussi des purges.
«Il n'y a peut-être qu'en Russie où la poésie a, pour le peuple, une importance aussi vitale et le poète, un tel prestige. Au fond, si Staline n'avait pas tant admiré et donc tant redouté Mandelstam qui était à ses yeux le plus grand poète russe de son temps, il l'aurait fait exécuter sans états d'âme, mais il ne voulait pas rester à la postérité comme son assassin.»
Mandelstam avait pourtant fait tout ce qu'il fallait pour le provoquer et, en quelque sorte, se suicider, quand il composa en 1934 sa fameuse «Ode à Staline» où il évoquait «le bourreau et l'assassin de moujiks». Staline condamna Mandelstam à trois ans d'exil, cette année-là, avant le coup de grâce d'une seconde condam nation à la déportation, en 1938, où le poète, brisé déjà depuis longtemps, mourut peu après dans un camp.
Eternelle et tragique opposition du poète et du tyran! Mandelstam s'illusionne sans doute quand il se persuade qu'une ode peut renverser un dictateur. Staline, lui, se désespère de constater que rien n'asservira un grand poète. Tel est l'enjeu de ce livre magnifique, sensible et érudit, où Littell (Robert) invente avec beaucoup de subtilités deux rencontres dramatiques entre Mandelstam et Staline, celui qui se sacrifie et se sait le vainqueur pour la postérité et l'homme de pouvoir qui pressent qu'il sera pour sa part et à jamais discrédité.
F. V.
«Non, jamais! Jonathan est assez secret. Comme moi. On se téléphone très souvent sans évoquer nos travaux respectifs. Je savais qu'il se documentait sur ce sujet mais je ne soupçonnais rien. Par la suite, je me suis tout expliqué.»
Les goûts du père et du fils divergent à l'occasion. Jonathan cherche à faire lire Céline à Robert, et celui-ci s'y refuse. A ses yeux, l'auteur des insoutenables pamphlets antisémites est à jamais déconsidéré. Littell père préfère, de son côté, le courage d'Ossip et de Nadejda Mandelstam. Dans ce grand roman polyphonique qu'est «l'Hirondelle avant l'orage», il les met en scène en compagnie de leurs amis Anna Akhmatova et Boris Pasternak, ou de Vlassik, le garde du corps de Staline, un bouleversant athlète de foire victime lui aussi des purges.
«Il n'y a peut-être qu'en Russie où la poésie a, pour le peuple, une importance aussi vitale et le poète, un tel prestige. Au fond, si Staline n'avait pas tant admiré et donc tant redouté Mandelstam qui était à ses yeux le plus grand poète russe de son temps, il l'aurait fait exécuter sans états d'âme, mais il ne voulait pas rester à la postérité comme son assassin.»
Mandelstam avait pourtant fait tout ce qu'il fallait pour le provoquer et, en quelque sorte, se suicider, quand il composa en 1934 sa fameuse «Ode à Staline» où il évoquait «le bourreau et l'assassin de moujiks». Staline condamna Mandelstam à trois ans d'exil, cette année-là, avant le coup de grâce d'une seconde condam nation à la déportation, en 1938, où le poète, brisé déjà depuis longtemps, mourut peu après dans un camp.
Eternelle et tragique opposition du poète et du tyran! Mandelstam s'illusionne sans doute quand il se persuade qu'une ode peut renverser un dictateur. Staline, lui, se désespère de constater que rien n'asservira un grand poète. Tel est l'enjeu de ce livre magnifique, sensible et érudit, où Littell (Robert) invente avec beaucoup de subtilités deux rencontres dramatiques entre Mandelstam et Staline, celui qui se sacrifie et se sait le vainqueur pour la postérité et l'homme de pouvoir qui pressent qu'il sera pour sa part et à jamais discrédité.
F. V.
FONTE (imagens incluídas): nouvelobs.com - Paris,France
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