terça-feira, janeiro 20, 2009

Jean-Marie Kerwich , le Gitan choisi par la poésie


26/12/2008 17:00
Jean-Marie Kerwich , le Gitan choisi par la poésie

Enfant de la route grâce aux rencontres qu’il y a faites, il voit sa poésie aujourd’hui reconnue et vient de publier « L’Évangile du Gitan ». Il parle de ses galères mais aussi de ceux, amis ou miséreux, qui lui ont tendu la main
Il confie toujours la même chose : « Je suis habité par un poète. » Et il dit vrai. Ses textes – des notes ténues et lumineuses plus que des poèmes – irradient le cœur. Parfois, Jean-Marie Kerwich semble pourtant tellement à bout de force qu’on se demande s’il pourra continuer encore longtemps à regarder son âme « s’attabler » avant d’écrire sur la feuille blanche.

Mais il continue. Avec sa guitare aux cordes usées qui l’aide à oublier son tourment, l’écriture est sa manière de « faire le bien », « d’aider son prochain », et lui donne « une vraie raison d’exister ». Une consolation aussi. Un pansement sur ses blessures toujours vives.
"La musique, c'est du pain qui sort des cordes"

Drôle de vie et drôle d’histoire. Il en est le premier surpris. Il raconte que son aïeul, Stanislas, est arrivé à cheval de Hongrie en 1786, a vécu en France, puis en Algérie où il a volé des linceuls pour les coudre et en faire un chapiteau.

Après lui, la famille a poursuivi le voyage. Lui est né à Paris, a vécu dans une verdine à Aubervilliers, puis à Clichy. Ses parents, amis de Django Reinhardt, présentaient des chiens savants dans les cinémas ou sur les places publiques.

Parfois, son père battait sa mère, ou le frappait lui, pour qu’il apprenne à jongler, à sauter ou à jouer de la guitare, « parce que la musique c’est du pain qui sort des cordes ». Jean-Marie Kerwich évoque ensuite le départ aux États-Unis, suivi d’un long séjour au Canada.

Un pays de neige et de solitude où il a découvert « la force de la poésie » au contact des tribus indiennes et dont il garde pour toujours la nostalgie. Il en est revenu avec le rêve de vivre de « petits riens qui enchantent le cœur » et de « caresser les doux cheveux du silence ».
Sa rencontre avec la littérature

Il a parcouru l’Europe. Vêtu de son vieux pantalon et de ses bottes gitanes à talons hauts, il a craché le feu et jonglé dans des cirques ou des cabarets sordides, servi dans des restaurants, est devenu gardien d’immeuble. Enfant, il se voyait bien médecin ou boulanger.

Aujourd’hui il est agent de sécurité à Rueil-Malmaison. Il a une guérite sur un quai de livraisons, « un poste d’observation unique ». C’est là qu’il s’est senti poussé par le ciel ou par son inconscient à écrire L’Évangile du Gitan.

Enfant, il ne fréquentait pas les livres. « Je lisais plutôt dans le regard des choses qui m’entouraient, explique-t-il. Je savais quand une fleur s’ennuyait ou quand un caillou avait besoin de réconfort. L’humanité, je la trouvais dans tout ce qui souffre et vit. »

Sa rencontre avec l’écriture remonte à ses 12 ans. Un enseignant de l’école Saint-Jean-Marie-Vianney de Montréal avait demandé à ses élèves d’écrire un texte. Le « dernier de la classe », qui marchait en évitant les feuilles mortes « de peur de blesser leur doux sourire immortel » leur avait consacré quelques lignes.
Il évoque avec tendresse ses frères humains

À l’époque, le jeune Gitan ne savait pas que c’était un poème. Et le directeur de l’école avait eu des doutes sur son auteur. Mais ces lignes-là ont changé sa vie.

Peu à peu, il a saisi ce qu’était la poésie, en comparant les textes des chansons de Brel ou de Brassens qu’il aimait à ceux de Rimbaud, Baudelaire et, plus tard, de Halladj, mystique musulman, ou du poète indien Kabir.

Et il a continué d’écrire, sans se soucier des fautes, des instantanés de joie jaillis de la nature qui, malgré l’agressivité que les hommes lui témoignent, continue à chanter et à prier, et auprès de laquelle il trouve un réconfort sans limite.

Avec lui, les fleurs sont les « derniers êtres à savoir pardonner car elles repoussent toujours », la neige amoureuse « se laisse fondre entre les bras d’un rocher », le vent « peut se mettre à chanter comme un Gitan », la pluie « donne son sang de cristal pour faire pousser les fleurs ». Le regard tourné vers le ciel qui ouvre son éternité à qui sait le scruter, il fait ainsi entendre « ce que la plupart des hommes ne voient pas », avec l’insistance que seul l’espoir sait provoquer.

Il évoque aussi avec des mots pleins de tendresse ses frères humains, les prostituées qui l’ont aidé et les femmes mûres qui l’ont entretenu, le vieux clochard qui parle tout seul, l’éboueur qui ne se plaint pas de son sort, l’ouvrier dont il ne connaît pas le nom et qui lui donne un morceau de pain, et tous ceux qui ont des mains de miséreux car « c’est à ces mains-là que le ciel tend les siennes ».
Son expérience avec le cirque Bouglione

Et puis, parce que son âme se sent souvent « exténuée de désolation », il dénonce au détour de quelques phrases tranchantes le monde « qui s’est vendu au malin », le progrès « qui détruit l’essentiel de la vie », et tous ceux – la majorité – « qui suivent les modes et les faux prophètes », ainsi que les écrivains « qui posent pour leur gloire » et les faux poètes qui « poétisent sans connaître le vrai sens des mots ».

« Moi, je n’ai jamais écrit assis sur du velours et avec une paire de lunettes rondes, explique-t-il, partagé entre colère et lassitude. Tout ce que j’ai écrit, je l’ai écrit dans des situations difficiles et pénibles, assis sur une caisse en bois ou des cailloux, une botte de paille. J’ai toujours écrit dans la vérité. Je ne crois pas aux œuvres qui évacueraient une certaine souffrance. Ce qui n’exclut pas la joie de la création, du bonheur d’avoir écrit. »

Comment ses textes ont-ils fini par rejoindre le lecteur ? « Une bête étrange qui d’ordinaire mendie ou vole et qui soudain écrit, c’est très surprenant pour les lettrés », concède Jean-Marie Kerwich .

Après un silence, il raconte avec gratitude comment un jour il a rejoint le cirque d’Alexandre Bouglione. Comment il a fait connaissance de sa femme d’alors, l’écrivain poète Lydie Dattas. Comment celle-ci, éblouie par son écriture « qui ne lui fut pas enseignée par les hommes mais par le ciel », l’a mis en contact avec Jean Grosjean qui comparait L’Ange qui boite aux prières de François d’Assise, puis avec Christian Bobin, qui a préfacé L’Évangile du Gitan.

Il explique aussi comment le violoniste Yehudi Menuhin, qui l’a depuis impliqué dans sa Fondation, était venu le voir un soir au cirque Romanes et pourquoi il ne l’avait pas salué : « On m’avait dit qu’il récitait chaque jour l’un de mes poèmes des Jours simples. Je jouais le clown. J’ai eu honte. Je suis parti sans le rencontrer. »
Ses projets de romans

Aujourd’hui, il aimerait encore mener à bien deux romans. Dans l’un d’eux, les anges écouteront les humains. Après quoi, dit-il, il réapprendra « à ne pas savoir écrire », car cette vie d’écriture ne fait pas partie de sa condition de nomade.

« L’encre dans mes veines perd sa force, les roues de mon cœur sont usées », écrit-il dans L’Évangile du Gitan. « Je ne veux plus connaître Jean-Marie Kerwich , car c’est un homme à qui j’ai trop donné », confirme-t-il étrangement, comme si deux êtres cohabitaient en lui.

Puis il se ressaisit et tente, avec un grand souci de vérité, de faire comprendre ce qui le trouble et, peut-être, le consume : « Quelqu’un s’est installé en moi, dit-il. C’est lui qui dans ma misère m’a appris à écrire. Mais ce Dieu qui vous demande de faire passer le message ne vous épargne pas de quoi que ce soit. La souffrance a un prix, c’est celui de la bonté. Dans tout ce que je subis, je me dis parfois que je mériterais un peu de paix. La seule satisfaction que j’ai, c’est d’avoir été choisi pour exercer ce don de l’écriture. Le Christ nous dit que notre souffrance sert à quelque chose. Peut-être que j’aurai une paillasse au ciel ! »

Impossible néanmoins de dire de Jean-Marie Kerwich qu’il est un croyant, un homme de foi. Lui-même ne s’y retrouverait pas. Il préfère se définir comme « l’ami du Messie » qu’il porte sur ses épaules parce qu’il ne peut « quand même pas laisser choir ce Messie au bord du chemin », ou « l’abandonner comme son père l’a abandonné ».
Sa rencontre avec l'Evangile

D’ailleurs, précise-t-il, il ne connaît presque rien aux Saintes Écritures. Simplement, lorsqu’il a découvert l’Évangile grâce à Lydie Dattas qui lui a offert la traduction de Jean Grosjean, il a ressenti « un véritable choc ». « Je me suis dit qu’il n’était pas possible qu’une histoire aussi peu banale, quasi romanesque, ne soit pas authentique, explique-t-il.

Ma chrétienté s’est révélée à moi. Avec le temps, j’ai approfondi cette dimension. J’ai une christicité en moi très profonde. En ce temps de la Nativité, celui qui était attendu, le Sauveur, est venu au monde dans le lieu le plus simple possible. Il est pour moi le premier poète, le premier Gitan, le premier de tout. Le crucifié. »

Aujourd’hui, Jean-Marie Kerwich habite chez une amie à Aubervilliers où il peut écrire au calme ou lire les livres que Lydie Dattas lui envoie, sur François d’Assise, Benoît Labre ou saint Augustin. L’été, il rejoint sa caravane à Claye-Souilly en Seine-et-Marne, où M. Godard lui a permis de s’installer en contrepartie de quoi il aide à la moisson. Là-bas, aussi, il écrit. Et il peint. Parfois encore, il va rendre visite à ses cousins dans le midi, partage leur repas et joue avec eux de la guitare. Mais il ne sent plus tout fait chez lui parmi eux. « Je suis un Gitan solitaire », constate-t-il.

Ce Gitan-là, « pas un croyant mais un souffrant », demande tous les jours trois choses à Dieu : de veiller à la santé de son fils, de réussir à jouer de la guitare, d’aider les malheureux. Son fils va bien. Il est violoniste et vit aux Pays-Bas.

Lui joue de la guitare flamenco et a 12 morceaux prêts à être enregistrés, dont un morceau dédié à Jean Grosjean. Son Évangile du Gitan, écrit dans une langue d’une grande beauté, touche l’âme du lecteur, au vif de la vie.
Robert MIGLIORINI et Martine DE SAUTO
FONTE: La Croix - Paris,France

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