sábado, abril 26, 2008

La littérature, quel avenir ?

La littérature, quel avenir ?

Je vous avais entretenu précédemment de l’avenir de la poésie, ne dissimulant pas mon anxiété à son sujet, si, cédant à la tentation de l’inintelligible, elle se réduisait à n’être qu’un fruit sec, dépourvu de suc, de goût et d’arôme et si, à force d’épure, elle se contentait de n’être que l’amorce de sa propre caricature ; alors, vous disais-je, oui nous pouvions craindre que la poésie ne soit en train de sombrer, sous la dictée de l’inconscient, dans une irrémédiable décadence. Aujourd’hui, je vous propose la même réflexion à propos de la littérature. Quelle place tient-elle dans notre culture et, à la lumière de son passé, qu’en est-il de son avenir ?
La raison d’être de la littérature est d’exprimer l’homme, ses rêves, ses aspirations, sa réalité tout entière. Aussi est-elle au premier chef un témoignage. De La chanson de Roland à Alain Robbe-Grillet elle n’a cessé de témoigner de la grandeur et de l’absurdité des choses, de la fidélité à l’engagement et du désarroi de la culpabilité. Elle est en elle-même un fait vivant, mouvant, remuant et cette vitalité, qui l’anime, n’a d’autre cause que la validité qu’ont les idées à exercer dans les livres une forme de radioactivité. Cela tient également aux auteurs qui ont eu pour objectif d’imprimer à leurs écrits leur force de persuasion et le rayonnement spirituel de leur temps. Ce sont ceux que Maurice Barrès nomme les bienfaiteurs. Sans leur contribution, la pensée et l’art ne bénéficieraient pas du même éclat et notre civilisation du même retentissement. Que serait, en effet, la poésie française sans Villon et Baudelaire, la pensée moderne sans Descartes ? Il y a, d’une part, les hommes et autour d’eux, une époque qu’ils inspirent ou subissent ; d’autre part, les lieux d’influences : les chambres des dames, les cours d’amour, les étapes de pèlerinage, la maison des princes, les champs de bataille, les salons, les cafés, les académies. Et, par-dessus, l’esprit du siècle, s’il est grand. La Renaissance fera Ronsard, le XVIIe Racine, Molière et Bossuet, le XVIIIe Voltaire et Diderot, le XIXe les Romantiques, le XXe Valéry, Proust, Camus et le XXIe ?
Entre ces créateurs et ces créatures, à la fois miroir de la vie, tableau de l’esprit et histoire des hommes, la littérature est à elle seule un monde dans sa pluralité, sa longue coulée ininterrompue. Mais à quel prix ? Rappelons-nous l’autorité, les superstitions, l’injustice, l’esprit de revanche, la routine, la police des moeurs qui n’ont cessé de l’opprimer et de ralentir sa progression. Rutebeuf était un gueux aux pieds nus, Villon se lamentait au fond d’un cachot, Montaigne et Rabelais étaient contraints à des précautions pour ne pas avoir maille à partir avec la Sorbonne et l’Inquisition. Tel est, de siècle en siècle, le prix du talent et de la foi en ses idées qui peuvent, de par leur audace ou leur modernité, heurter momentanément l’opinion publique pour la raison qu’il la devance dans ses voeux et l’ébranle dans ses assises.
De nos jours, la critique aime à parler de crise et elle n’a pas tort. Il est évident que le monde l’est en permanence. Et la littérature ne peut y échapper, dans la mesure où elle est l’une des fleurs de la conscience humaine. Au point que le roman s’interroge aujourd’hui sur ses moyens et sur ses fins et que le mélange des genres crée une confusion regrettable, du simple fait que les auteurs se réclament d’une sincérité et d’une vérité qu’ils se refusent à reconnaître dans d’autres miroirs que les leurs. Ici on emprunte au poète, là au philosophe, ailleurs à l’homme de cinéma, voire au peintre abstrait. Le théâtre, lui-même, se cherche entre le film et la tragédie, le travail de laboratoire et le grand jeu populaire, tandis que la critique, au-delà de l’appréciation des formes, tente de définir la nature du langage et les catégories permanentes de l’esprit humain.
Heureusement une crise ne signifie pas nécessairement un appauvrissement... Même si la littérature doit traverser une période de défaveur et le roman céder une part de sa place, le fait littéraire perdure. Lui qui est l’instrument de conservation et d’accroissement par excellence du capital humain. N’est-ce pas un nouvel homme qui prend lentement conscience de lui-même et, ce, au prix d’une inévitable mutation et de réels traumatismes. Car à la crise politique s’est jointe une crise morale : les bouleversements de la logique et des mathématiques n’ont-ils pas suggéré une autre idée de la raison ; ceux de la psychologie et de la psychanalyse une autre idée de la conscience, ceux des sciences physiques et des techniques une autre idée de la puissance ? Enfin le travail des explorateurs a précisé à l’homme sa place sur l’échiquier du monde et celui des grands humanistes une idée plus complète et plus riche de sa diversité ethnique. Dans n’importe quel pays, désormais, un écrivain sait ce qu’il doit à Shakespeare et Montaigne, Goethe et Pascal, Nietzsche et Dostoiëvski, Poe et Faulkner, Cervantès et Dante dans sa formation personnelle, le jeu de ses influences et l’écho qu’il entend donner à son oeuvre.
Si la littérature se refuse à tomber dans les pièges de la sous-culture et du néant, si elle garde la foi en sa vocation de tenir le juste équilibre entre les extrêmes, le rêve et le réel, le chimérique et le possible, équilibre certes provisoire, mais qu’elle a su conserver à travers tant d’épreuves, d’échecs et de fractures, l’espoir demeure qu’elle maintienne sa permanence dans le temps, tout en accompagnant l’esprit dans sa marche et l’homme dans son inquiétude.

FONTE (image include): AgoraVox - Paris,France

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