May 02, 2007
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Les chats précédents
«Les mathématiciens sont mathématiciens, et pas poètes»
«Les mathématiciens sont mathématiciens, et pas poètes»
Phersu : quels livres de métrique recommanderiez-vous pour comprendre le nombre et le rythme dans vos poèmes?
Jacques Roubaud : à vrai dire, aucun. Mais si on veut connaître plutôt bien la métrique classique, il y a le Traité de versification française (1) de Theodor Elwert sur la métrique du vers français. Ça ne suffit pas pour suivre ce que je fais exactement, mais c'est un point de départ.
Axel : qu'avez-vous ressenti après avoir découvert le traité de Bourbaki?
J'ai été absolument enthousiasmé, c'était une manière de présenter la mathématique à laquelle je n'avais pas été habitué au lycée. Cela paraissait quelque chose de révolutionnaire. Pour moi ça qui ressemblait un peu au choc du surréalisme. J'avais lu des poètes classiques, Victor Hugo, Baudelaire, Mallarmé... La poésie surréaliste m'avait fait un choc, et Bourbaki, quand je l'ai découvert, m'a fait un choc semblable au premier.
Cameleon : le récit de Parc sauvage est-il autobiographique?
Comme je n'ai pas énormément d'imagination, j'utilise des souvenirs. Ces souvenirs de cette époque, et de ces lieux, m'ont servi comme des bases, mais ensuite, bien entendu, j'ai inventé les personnages. donc ce n'est pas réellement autobiographique. Mais le décor et certains des personnages, eux, sont réels.
Leovains : selon Pierre Reverdy, "c'est dans le mot poésie qu'il faut aller chercher le sens que comportait autrefois le mot liberté"? Cette définition vous convient-elle, en tant que membre de l'Oulipo?
Il y a deux choses. La première, je ne crois pas que la liberté soit seulement dans la poésie. D'autre part, c'est vrai, qu'il est bon que les poètes soient libres. Et Robert Desnos, pendant la Seconde guerre mondiale, a dit "un poète doit pouvoir parler de tout, en toute liberté". Bien entendu, la question est un peu une question piège, dans la mesure où l'oulipo travaille avec des contraintes. Mais, il est possible d'atteindre à une autre liberté quand on triomphe de la contrainte. C'est semblable à ce qui se passe quand on fait de la course de fond. Au debut, on court, ensuite, on est fatigué, on rencontre une grosse difficulté. Il faut s'obstiner, et si on triomphe de sa fatigue, on retrouve ce que qu'on appelle le second souffle. Maîtriser une contrainte, c'est permettre d'accéder à cette liberté là. Mais symétriquement, si on écrit de manière totalement libre, sans se donner les moindres règles, on risque de ne reproduire que les formes dégénérées de la tradition. On est libre sans doute, mais le résultat peut être catastrophique.
Dodcoquelicot : ne trouvez-vous pas qu'on oublie souvent la définition première de la Poésie ? que l'on pourrait la rapprocher des mathématiques justement de par son exigence - , et qu'on a tendance à traiter tout et n'importe quoi comme poétique?
Je ne pense pas qu'il y ait des raisons de rapprocher la poésie des mathématiques. Ce sont deux activités qui se situent très très loin l'une de l'autre. Etre rigoureux en mathématique, ça se fait d'une certaine façon. Etre rigoureux en poésie, ça se fait d'une autre façon. Mais c'est pareille pour la conduite automobile, ou la fabrication du pain. Si on ne fait pas la chose sérieusement, mieux vaut s'abstenir.
Cameleon : comment un mathématicien devient-il poète?
Généralement, les mathématiciens sont mathématiciens, et pas poètes. Il arrive à certains d'entre eux de faire, en dehors de la mathématique, des choses différentes. Certains font de l'alpinisme, d'autres de la chasse aux papillons, d'autres jouent très mal du violon. Un de mes amis, mathématicien de ma génération, est un formidable chanteur de grégorien. Pour moi, quand je faisais de la mathématique - maintenant, je suis retraité - je peux dire que d'une certaine façon, la poésie était un repos. Et j'ajouterais que la mathématique était un repos de la poésie.
Morningmtp : écrivez-vous parfois sans contrainte particulière?
Comme je ne suis pas un oulipien parfait, il m'arrive assez souvent de ne pas parvenir à trouver la bonne contrainte, et par conséquent d'écrire sans contrainte. Mais quand on a beaucoup travaillé avec contrainte, c'est une chose qui se produit en fait assez rarement. Je me souviens que Georges Perec, qui, en un sens, peut être considéré comme le modèle de l'oulipien parfait, avait reçu la commande d'un poème qui serait écrit sans contrainte. Il a énormément souffert, puis il a répondu à la demande, mais beaucoup de personnes pensent qu'il y a quand même une contrainte dans son poème.
Jean-Yves : le titre "Impératif catégorique" semble renvoyer à ce qui a manqué justement à l'aventure Bourbachique : l'emploi effectif du langage des catégories en mathématiques en lieu et place de la notion un peu bancale de structure qu'a malheureusement conservé Bourbaki. Avez-vous choisi ce titre avec cela à l'esprit?
Disons quand fait le choix du titre "Impératif catégorique" est lié à l'origine de la théorie des catégories. Les fondateurs de cette théorie, dans leur premier article de 1945, faisaient référence à Emmanuel Kant. La notion d'impératif catégorique se trouve chez Kant. La théorie des catégories diffère de la mathématique de Bourbaki de la manière suivante: disons, pour simplifier, que la théorie des ensembles et des structures est quelque chose d'immobile. L'intuition du temps en est absente. Les structures ne bougent pas. Une des intentions de la théorie des catégories, était de permettre de rendre compte de l'intuition du temps.
Dodcoquelicot : allez-vous souvent sur le net? Si oui, y trouvez-vous parfois d'heureuses découvertes?
Oui, je vais très souvent sur internet. J'y trouve des renseignements météorologiques, qui sont pour moi très importants. J'y trouve des choses souvent très drôles, beaucoup de bêtises qui sont également drôles, particulièrement dans Wikipedia. Et puis, quelque chose d'extrêmement avantageux qui est, par exemple, la possibilité de lire des articles mathématiques avant qu'ils soient publiés de manière définitive. L'internet est extrêmement riche et va le devenir de plus en plus.
Paris : vous dites travailler avec des contraintes. Lesquelles?
Il y a en a énormément, c'est très difficile de dire lesquelles. Cela dépend. Il y a des contraintes qui portent sur les lettres, d'autres sur les syllabes, il y a des variations de formes poétiques. Elles sont extrêmement nombreuses, le mieux pour répondre à cette question c'est d'aller voir le site Oulipo.
(1) Traité de Versification française, des origines à nos jours, W.Theodor Elwert, aux éditions Klincksieck, 18,50 euros.
Impératif catégorique, Jacques Roubaud, aux éditions du Seuil, "Fiction et Cie", 20 euros. Parc Sauvage, Jacques Roubaud, aux éditions du Seuil, "Fiction et Cie", 14 euros.
FONTE (photo include): Libération - Paris,France
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