sábado, novembro 13, 2010

Ma première rentrée littéraire : dans les librairies, la dictature du roman

Par Natacha Boussaa
Auteure
25/09/2010
18H07

Nouvel épisode de la « rentrée inside » de Natacha Boussaa. Mais ce billet innove : partant de vos réactions, notre « primo-romancière » réfléchit sur le genre romanesque, sa portée, son avenir. Vraiment « inside », donc. H.A.

Qu'est-ce qu'écrire aujourd'hui en France ? A l'issue des riches échanges que j'ai eus avec les riverains de Rue89 que sont Lancetre, Egide, Numerosix, Inspecteur crouton, Gringo4c, Sndoc, etc., j'ai eu envie de m'arrêter un instant sur cette question.

Déclin de l'essai, de la poésie, de la pièce… et dictature du roman

Aujourd'hui, la littérature française vit sous la dictature du roman. La poésie et l'écriture théâtrale, qui étaient jadis les deux formes littéraires privilégiées pour raconter le monde, sont désormais inexistantes.

Les essais et les pamphlets sont rejetés loin des tables en librairie par le genre « documents », ou par les torchons sur des épiphénomènes politiques jetables.

Les « grandes maisons » d'édition, entraînées dans une économie du livre de plus en plus compétitive, publient parcimonieusement ces formes littéraires. Quant aux libraires, sous la pression de charges exorbitantes, ils ne peuvent pas soutenir des formes qui se vendent peu.

Mais le facteur économique n'est pas la seule raison de cette désaffection : conséquence ou cause, ces formes, si importantes dans la vie culturelle française jusqu'à la moitié du XXe siècle, en sont aujourd'hui totalement exclues.

Elles ne parviennent plus à prendre part au débat culturel. Est-ce leur difficile diffusion qui les rend inexistantes ? Ou bien la poésie et le théâtre se sont-ils trop détournés des affaires du monde, engouffrés dans l'expérimental, pour intéresser quiconque ?

Quant à l'essai, est-ce là encore un problème de diffusion, d'époque qui ne s'intéresse plus à la pensée, ou bien devons-nous nous interroger sur l'amont, la fabrique des essayistes qu'est l'université ?

« Le roman s'est imposé avec le développement de la notion d'individu »

On peut aussi penser que ce sont des formes obsolètes, et expliquer le succès du roman par sa modernité : sa capacité à donner au lecteur une illusion de réalité, sa capacité à absorber tous les autres genres littéraires en empruntant à la poésie, aux situations théâtrales, aux passages argumentatifs, sa capacité, depuis l'émergence de la réflexion sur le langage, à se faire le lieu idéal d'une exploration formelle.

Mais le roman est aussi un produit du capitalisme, il en est l'expression littéraire la plus parfaite. Il s'est imposé avec le développement de la notion d'individu. C'est l'accès à la lecture et à l'éducation des masses, ainsi que l'essor de l'imprimerie et de l'édition qui en ont favorisé l'hégémonie.

Le roman est-il donc le fruit d'un nivellement par le bas ? Ou bien la forme littéraire la plus sophistiquée, faisant de la poésie, du théâtre et de l'essai des formes dépassées ?

Je me souviens d'une intervention de Régis Jauffret qui racontait combien la forme romanesque dans les années 70 était proscrite, « ringarde » et combien il devait « se cacher » pour écrire des romans.

Les auteurs se croient libres, mais ne le sont pas. Le débat culturel, l'édition et la diffusion influent directement sur la production littéraire de leur époque, et sur leur « inspiration ». L'auteur est insidieusement prié d'écrire un texte qui ne le tuera pas économiquement, mais surtout culturellement, symboliquement.

« Ah non ! Surtout pas d'histoires déprimantes ! »

Il est évidemment plus difficile de susciter l'intérêt du public avec de la poésie et de l'argumentatif qu'avec un roman. Plus difficile avec un texte expérimental que classique. Plus difficile avec une peinture du monde contemporain sans fard qu'avec une bluette confortable.

J'ai pu assister, dans des salons du livre, aux réactions de lecteurs face à quelques quatrièmes de couverture :

« Ah non ! Surtout pas d'histoires déprimantes ! C'est pour ça qu'on aime Anna Gavalda, c'est parce que ce n'est pas déprimant, c'est parce qu'on n'a pas envie de voir notre vie dans les livres. »

Et l'auteur de se défendre : « Mais ce n'est pas déprimant, c'est un roman qui transmet de l'énergie, et puis ça se termine bien. » Le lecteur est soudain rassuré : « Ça se termine bien ? » Cri du cœur d'une époque terrorisée par l'avenir.

Le succès du roman lui permet de se décliner dans une grande et heureuse variété de genres : réalistes, psychologiques, expérimentaux, fables, historiques, policiers, fantastiques, etc.

Le monologue du « je », procédé narratif omniprésent

On peut toutefois relever qu'un procédé narratif s'est imposé ces dernières années : le monologue d'un « je » racontant son histoire. Plus le roman est expérimental, plus il travaille à l'accidenter, le complexifier, ou le multiplier, mais il travaille tout de même à partir de ce monologue.

On peut l'expliquer. Après le diktat du Nouveau Roman et le marasme laissé derrière lui, l'autofiction a dominé la littérature française : il a fallu passer par un « je » outré, pour restructurer le « je » détruit par le Nouveau Roman, afin de pouvoir à nouveau regarder le monde, car on ne peut pas examiner le monde avec un « je » démoli.

Quelle sera la prochaine étape ? Le roman semble à nouveau remplir le rôle dévolu à la littérature : regarder le monde et proposer, face à ce puzzle, une construction, une représentation.

Bien que cette année, je participe moi-même à l'hégémonie du roman en en publiant un, j'appelle le débat culturel à une plus grande reconnaissance des autres genres littéraires. On ne peut pas laisser la littérature aux seules mains des romanciers. On a besoin des poètes, des dramaturges, et des essayistes, pourvu que ceux-ci soient tournés vers le monde.

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FONTE: Rue89

http://www.rue89.com/
EM: http://www.rue89.com/cabinet-de-lecture/2010/09/25/ma-premiere-rentree-litteraire-la-dictature-du-roman-168016

IMAGEM: natachaboussaa.net

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