sexta-feira, maio 23, 2008

Des mathématiques à l’écriture

Le mythe Tahar Djaout
Des mathématiques à l’écriture
Le sort réservé à Djaout rappelle celui de Socrate avec cette différence qu’on a donné la mort au philosophe grec en lui faisant boire un poison provenant d’un champignon venimeux. Socrate avait accepté avec le sourire la sentence qu’on lui avait réservée pour ses idées très en avance sur son temps.Périclès homme d’Etat pourtant père de la démocratie en Grèce antique qui avait rêvé de fonder une puissance maritime, l’avait accusé de répandre des idées incompatibles avec le régime politique. Socrate a été éliminé physiquement mais sa philosophie a traversé des millénaires d’histoire ; elle est incontournable même de nos jours.
Djaout a fait des études en mathématiques et malgré lui, il est devenu poète puis romancier de talent. Ses textes ont été construits dans la perspective de la logique cartésienne. A l’image de Mameri, Dib, M. Haddad, K. Yacine, il a inventé un style qu’il a pris soin d’affûter dans la poésie.
C’est avec beaucoup d’humilité qu’il a fait ses débuts dans la versification. Mohamed Dib a d’abord été lui aussi journaliste, poète, avant de découvrir sa vraie vocation de romancier et il en est de même de Kateb et de Djaout.
Une poésie personnalisée et revendicative
S’il y a un genre où on doit être original, c’est bien la poésie, art majeur comparable à la peinture dont les conditions d’appréciation restent l’inventivité, sa capacité à susciter la motivation, marques d’un génie créateur. De plus, Djaout n’a pas fait la poésie pour la poésie, mais pour servir une cause juste : réhabiliter l’homme, dénoncer les injustices. Il a laissé derrière lui des pensées qui méritent d’être mises en exergue à la première page de chaque œuvre de référence : «Ecrire-répondre à une conjuration. Enseigner son oracle. Et à l’horizon obturé exhiber le poème. Rempart où le réfugié abrite ses dernières hardes et abrite son dernier souffle/gros d’un enfantement subversif».
S’il a réussi dans le roman, c’est parce qu’il a su intéresser son public par sa prose poétique qu’on lit avec délectation. Pour lui, «écrire c’est tout dire, dénoncer les faux miracles. Il faut que la poésie soit corrosive, vigilante, libératrice qui débarrasse de toute entrave déformante, composée dans un langage revendiquant le pain et le feu. Lorsqu’on lit ses textes, on remarque une nette récurrence de l’expression «à vau l’eau» et cela peut s’expliquer aisément étant donné son envergure. Très jeune, il avait édité un de ses recueils de poésies sous le titre ou générique l’Arche à vau l’eau (Paris, ed Saint Germain des Près. 1977, 78 pages). L’auteur avait aussi le don de voir dans chaque élément un support de sens multidimensionnel. Il n’avait pas vingt ans en 1972 lorsque parlant de soleil, il employait à bon escient : soleil total, soleil fusionnant miel et allégresse.
On ne peut qu’être émerveillé, même si on ne le saisit pas bien, son style imagé chargé de sens que le commun des lecteurs trouve parfois plein de non dits. Que de lecteurs ont été décontenancés devant des emprunts à divers domaines de la connaissance : «J’ai perdu à jamais l’étoile, guide de mon périple».
Ses textes composés avec beaucoup de talent, dit tout ce qu’on peut ressentir intérieurement, comme l’amertume, les fantasmes, le déchirement. Cependant, comme tous les jeunes, il aime le soleil, la plage, la mer, l’Eros fou, la tendresse, les mots sympathiques. Depuis les premières années bercées dans une poésie passionnante par son contenu jusqu’aux années de production romanesque, les œuvres de Djaout ne se sont jamais éloignées de l’actualité brûlante, de ses racines identitaires, du patrimoine ancestral. «Je veux tout recréer dans une chair orage», dit-il.
Une poésie qui dit «je» mais qui engage tout le monde
Africanité ma peau écrit lorsque le poète n’avait que 19 ans, est un indicateur de maturité précoce pour le genre poétique, la littérature en général, la culture, la sociologie, l’histoire. A cet âge, rares sont les jeunes qui comprennent la politique tiers monde. Il s’agit-là d’une poésie qui s’enracine dans le monde des humains. Elle dit «je» haut et fort pour faire entendre une voix qui dit tout sur le destin de l’Afrique et des Africains. En voici un extrait : «Et j’exige que soient canonisés le cris commun, l’hymne commun, la souffrance commune/le verbe de mes frères les chantres caniculaires/ Sénac-paix «Jean sur tous les cimetières recueillis dans l’incantation solaire.
Chérif Kheddam, Khaïr Eddine. Utam’si
Afrique ma profonde devise non pas écriteau soudé sur front d’esclave non pas plaque hissé pour indiquer le lieu de parcage mais hymne nouveau-né de nos bouches ressuscitées mais bras puissants, ouvrant grandes les portes à tous les mots séquestrés» (1973).
En parcourant sa poésie, nous avons été soudainement sidérés par des vers d’une beauté incomparable par la brièveté, les symboles, la simplicité du vocabulaire mais d’un grand poids sémantique. Ils ont été dédiés à Jean Senacs, un ami de l’Algérie tombé dans l’oubli, aussi l’oublié restera chez Djaout un éternel ressuscité tant les écrits restent.
Le titre choisi «espoir» est apparemment paradoxal par rapport au contenu, mais l’auteur a fait un choix judicieux pour un poème composé de deux sizains ou strophes de six vers formant un ensemble qui présente de nombreuses combinaisons de rimes à partir de substantif, verbes, adverse pronoms qui expriment plus de sens qu’on ne le pense.
D’après les indications données, le poème a été composé à Oulkhou (Azzefoun) son village natal, alors qu’il n’avait que dix huit ans. On laisse chacun juge du schéma sémantique et de l’esthétique du texte : «embrayeurs des nuées poètes, et le temple des clartés bâti de vos vertèbres, donnera-t-il enfin le pain que nous cherchons ? J’entends monter de vous la rumeur des fleuves, et sourde dans le sein de vos squelettes têtus, le refus de hisser, le pavillon du silence ». (L’Arche à vau l’eau).
Nous avons eu l’occasion de dire que Djaout avait ce rare privilège d’avoir le don des mathématiques et du langage poétique. Les vers devaient couler de lui comme de l’eau de roche tant chaque mot occupe bien la place qu’on lui a choisie, apporter un plus de sens ou être le pilier d’un ensemble organisé. La science et l’art de vérifier, associés dans un rapport de parfaite complémentarité, s’appuient sur ddes qualités naturelles comme l’intelligence, l’esprit d’observation, la logique ou le raisonnement mathématique, la critique constructive qui font de l’auteur un penseur émérité, un poète hors pair «tu arborais tous les manteaux scintillants de l’aube, et ton corps vibrant me disait la houle des blés, Oh encore une giclée de soleil, et avec lui remuer le suaire, les souvenirs à jamais pulvérisés» (extrait du poème Rien qu’un corps. Ces vers libres et non ponctués conformément aux canons d’une genre poétique auquel adhère avec de réelles convictions, dénotent des prédispositions rares ainsi qu’une forme de prémonition.
Il arrive que des artistes, de tous les domaines et de tous les genres fassent des œuvres prémonitoires. Ah ! Si Djaout, Feraoun, Kateb, Mammeri n’avaient pas rencontré la mort plus tôt ou n’avaient pas connu vos destins tragiques, ils auraient continué a être aussi prolifiques pour le bien de notre littérature.
24-05-2008
Boumediene A.
FONTE: Nouvelle République - Alger,Algeria
http://www.lanouvellerepublique.com/

Nenhum comentário:

Postar um comentário