Défense et illustration de la langue française
Michèle Gally
Michèle Gally
Emmanuel Buron, Nadia Cernogora, Du Bellay,
La Deffence et illustration de la langue françoyse,
l’Olive, Paris, Atlande, 2007.
Disons le d’emblée. La belle étude qu’Emmanuel Buron consacre à deux textes majeurs de Du Bellay dépasse largement le cadre que s’est fixée la collection dans laquelle elle paraît : la collection « clés concours » chez Atlande. Elle conserve cependant des exigences de celle-ci et des contraintes d’une préparation à l’agrégation des Lettres la minutie des brèves études des sonnets de L’Olive – dont les deux éditions de 1549 et de 1550, la seconde englobant la première en la complétant et la réorientant, sont prises en compte – et les analyses lexicales, prosodiques et grammaticales précises et rigoureuses dues à Nadia Cernogora.
La raideur de la partie « Repères » exigée par la collection, qui doit mettre en place les contextes biographique, historique et culturel de l’œuvre, est elle-même dépassée par l’exposé synthétique des liens qui se tissent du xive au xvie siècle, de la France à l’Italie et retour, entre l’interrogation sur l’emploi, ou non, de la langue vernaculaire – débat ouvert et illustré entre autres par Dante -, les choix des styles selon leur hiérarchie et celui d’une poésie amoureuse comme lieu d’élaboration d’une « poésie haute » qui se distingue de la poésie des Puys, poésie de concours, poésie rhétorique, devenue nettement mariale au xve et proprement « bourgeoise », c’est-à-dire citadine et non curiale. D’une certaine manière et malgré des différences évidentes en particulier de formes, cette poésie, mise commodément sous l’étiquette de « la Pléiade », rejoint la poésie aristocratique d’un Charles d’Orléans par-dessus la tête de la « Grande Rhétorique » mais elle s’est lestée de l’héritage pétrarquiste et antique autant que du souci déjà de Dante de nouer explicitement langue et poésie.
Dans le meilleur sens du terme, cette étude est donc d’abord une étude d’histoire littéraire. Elle propose des cheminements pour comprendre une invention qui n’est trouvaille qu’au sein d’héritages divers assumés et dépassés au creux de fécondes polémiques. E. Buron ne néglige aucune piste et affirme la pertinence de la lecture sociologique : le poète n’est pas seul, il écrit dans et pour un milieu et les querelles littéraires ne sont pas des luttes abstraites. Elles se produisent au sein de circonstances politiques et culturelles, en l’occurrence celles de l’enseignement humaniste des langues anciennes et de l’avènement d’Henri II, moment où il s’agit d’affirmer, pour aussi se faire une place, l’importance d’une poétique de la langue française afin de conforter à la fois le prestige de l’écrivain et la gloire du royaume.
En cela, le programme des concours, en rassemblant la Deffence et les recueils de L’Olive, contemporains mais trop souvent dissociés, permet de repenser une cohérence de pensée essentielle entre les deux œuvres, celle qui suit le principe d’une imitation des œuvres antiques et italiennes mais dans le but d’illustrer la langue française. Du Bellay à la fois analyse et met en œuvre une poétique qui justifie et rende compte du sens qu’il y a à imiter. Théorie et pratique opèrent un aller-retour constant, le choix du sonnet lui-même et ses contraintes formelles étant signifiant, les poèmes des recueils continuant de proposer autant que d’illustrer une réflexion sur les choix qui guident leur composition, leur prosodie, leurs métaphores, leurs figures mythologiques.
Chemin faisant, l’étude constitue un excellent rappel et de lumineuses synthèses des grandes questions qui innervent les querelles poétiques du xvie siècle : le rapport à l’Antiquité – de la translatio imperii à la translatio studii -, le modèle pétrarquiste et le néoplatonisme issu de l’œuvre de Marsile Ficin.
Les « Problématiques » passent par une lecture attentive de la Deffence, qui refuse d’être seulement un « art poétique », c’est-à-dire un ensemble de règles normatives et formelles pour écrire de la poésie, et travaillent les deux notions centrales de « l’illustration » et de « l’imitation » toujours en parallèle dans les deux œuvres, avant de proposer un parcours du premier au second recueil de l’Olive, en gros d’une posture amoureuse qui répondrait au Canzoniere de Pétrarque – l’olivier au laurier, Olive à Laure mais aussi Minerve contre Apollon, rappel enfin de la devise de Marguerite de France-, à une ferveur religieuse des derniers sonnets, les deux s’unissant dans la demande de protection formulée à la sœur du roi.
Résumer les étapes de l’analyse serait fastidieux, les lire est passionnant. E. Buron allie à la densité de son propos une clarté servie par son constant souci de préciser la lettre des textes, revenir sur les sources et les modèles, répéter les rapports qu’entretiennent les notions que les textes convoquent.
Cet ouvrage sert sans nul doute de guide aux agrégatifs pour circuler dans une partie de leur programme particulièrement complexe mais il restera aussi comme une référence pour tous les spécialistes de l’histoire de la poésie et des poétiques du Moyen Age au xxe siècle. L’exemple historique sur lequel il se penche rejoint en effet des questions résurgentes à différentes époques : la théorie n’a-t-elle de force, voire de pertinence, qu’alliée à une pratique poétique, en une constante circulation et questionnements réciproques, au risque sinon de verser dans « l’art » compris comme recettes sans véritable enjeu de sens ? Les poètes seraient-ils alors les seuls à même de réfléchir leur propre poétique et celle de leurs prédécesseurs ou contemporains ?
Du Bellay nous invite ainsi à penser cette difficile et pourtant nécessaire complémentarité entre la création et la conscience réflexive de celle-ci, il propose une réponse en acte. En termes différents, Dante (pour en rester à des exemples anciens), deux siècles auparavant, voulant aussi hausser la lyrique vernaculaire au rang de la poésie antique, disait qu’il fallait pour y parvenir en faire la razo – la théorie, l’explication.
Il est seulement à déplorer que la présentation, les caractères et la mise en pages de la collection ne facilitent pas la lecture et même soient plus un repoussoir qu’une invitation à ouvrir le livre ! Mais l’effort en l’occurrence peut être payant.
Enfin, pour le dire comme E. Buron, il est heureux qu’un programme de concours soit l’occasion d’interrogations théoriques aptes à nourrir fructueusement la recherche littéraire, à un moment où le lien entre enseignement et recherche est insidieusement remis en cause, où le statut « d’enseignant-chercheur » lui-même est mis en péril.
par Michèle Gally
Publié sur Acta le 31 mars 2008
La raideur de la partie « Repères » exigée par la collection, qui doit mettre en place les contextes biographique, historique et culturel de l’œuvre, est elle-même dépassée par l’exposé synthétique des liens qui se tissent du xive au xvie siècle, de la France à l’Italie et retour, entre l’interrogation sur l’emploi, ou non, de la langue vernaculaire – débat ouvert et illustré entre autres par Dante -, les choix des styles selon leur hiérarchie et celui d’une poésie amoureuse comme lieu d’élaboration d’une « poésie haute » qui se distingue de la poésie des Puys, poésie de concours, poésie rhétorique, devenue nettement mariale au xve et proprement « bourgeoise », c’est-à-dire citadine et non curiale. D’une certaine manière et malgré des différences évidentes en particulier de formes, cette poésie, mise commodément sous l’étiquette de « la Pléiade », rejoint la poésie aristocratique d’un Charles d’Orléans par-dessus la tête de la « Grande Rhétorique » mais elle s’est lestée de l’héritage pétrarquiste et antique autant que du souci déjà de Dante de nouer explicitement langue et poésie.
Dans le meilleur sens du terme, cette étude est donc d’abord une étude d’histoire littéraire. Elle propose des cheminements pour comprendre une invention qui n’est trouvaille qu’au sein d’héritages divers assumés et dépassés au creux de fécondes polémiques. E. Buron ne néglige aucune piste et affirme la pertinence de la lecture sociologique : le poète n’est pas seul, il écrit dans et pour un milieu et les querelles littéraires ne sont pas des luttes abstraites. Elles se produisent au sein de circonstances politiques et culturelles, en l’occurrence celles de l’enseignement humaniste des langues anciennes et de l’avènement d’Henri II, moment où il s’agit d’affirmer, pour aussi se faire une place, l’importance d’une poétique de la langue française afin de conforter à la fois le prestige de l’écrivain et la gloire du royaume.
En cela, le programme des concours, en rassemblant la Deffence et les recueils de L’Olive, contemporains mais trop souvent dissociés, permet de repenser une cohérence de pensée essentielle entre les deux œuvres, celle qui suit le principe d’une imitation des œuvres antiques et italiennes mais dans le but d’illustrer la langue française. Du Bellay à la fois analyse et met en œuvre une poétique qui justifie et rende compte du sens qu’il y a à imiter. Théorie et pratique opèrent un aller-retour constant, le choix du sonnet lui-même et ses contraintes formelles étant signifiant, les poèmes des recueils continuant de proposer autant que d’illustrer une réflexion sur les choix qui guident leur composition, leur prosodie, leurs métaphores, leurs figures mythologiques.
Chemin faisant, l’étude constitue un excellent rappel et de lumineuses synthèses des grandes questions qui innervent les querelles poétiques du xvie siècle : le rapport à l’Antiquité – de la translatio imperii à la translatio studii -, le modèle pétrarquiste et le néoplatonisme issu de l’œuvre de Marsile Ficin.
Les « Problématiques » passent par une lecture attentive de la Deffence, qui refuse d’être seulement un « art poétique », c’est-à-dire un ensemble de règles normatives et formelles pour écrire de la poésie, et travaillent les deux notions centrales de « l’illustration » et de « l’imitation » toujours en parallèle dans les deux œuvres, avant de proposer un parcours du premier au second recueil de l’Olive, en gros d’une posture amoureuse qui répondrait au Canzoniere de Pétrarque – l’olivier au laurier, Olive à Laure mais aussi Minerve contre Apollon, rappel enfin de la devise de Marguerite de France-, à une ferveur religieuse des derniers sonnets, les deux s’unissant dans la demande de protection formulée à la sœur du roi.
Résumer les étapes de l’analyse serait fastidieux, les lire est passionnant. E. Buron allie à la densité de son propos une clarté servie par son constant souci de préciser la lettre des textes, revenir sur les sources et les modèles, répéter les rapports qu’entretiennent les notions que les textes convoquent.
Cet ouvrage sert sans nul doute de guide aux agrégatifs pour circuler dans une partie de leur programme particulièrement complexe mais il restera aussi comme une référence pour tous les spécialistes de l’histoire de la poésie et des poétiques du Moyen Age au xxe siècle. L’exemple historique sur lequel il se penche rejoint en effet des questions résurgentes à différentes époques : la théorie n’a-t-elle de force, voire de pertinence, qu’alliée à une pratique poétique, en une constante circulation et questionnements réciproques, au risque sinon de verser dans « l’art » compris comme recettes sans véritable enjeu de sens ? Les poètes seraient-ils alors les seuls à même de réfléchir leur propre poétique et celle de leurs prédécesseurs ou contemporains ?
Du Bellay nous invite ainsi à penser cette difficile et pourtant nécessaire complémentarité entre la création et la conscience réflexive de celle-ci, il propose une réponse en acte. En termes différents, Dante (pour en rester à des exemples anciens), deux siècles auparavant, voulant aussi hausser la lyrique vernaculaire au rang de la poésie antique, disait qu’il fallait pour y parvenir en faire la razo – la théorie, l’explication.
Il est seulement à déplorer que la présentation, les caractères et la mise en pages de la collection ne facilitent pas la lecture et même soient plus un repoussoir qu’une invitation à ouvrir le livre ! Mais l’effort en l’occurrence peut être payant.
Enfin, pour le dire comme E. Buron, il est heureux qu’un programme de concours soit l’occasion d’interrogations théoriques aptes à nourrir fructueusement la recherche littéraire, à un moment où le lien entre enseignement et recherche est insidieusement remis en cause, où le statut « d’enseignant-chercheur » lui-même est mis en péril.
par Michèle Gally
Publié sur Acta le 31 mars 2008
FONTE: Fabula - France
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