Early Riser
Ron Jones
critique photo view portfolio (219 images) ******************************************************
Ron Jones
critique photo view portfolio (219 images) ******************************************************
Les Lettres françaises
Chronique poésie de Françoise Hàn. Les mythes, l’histoire, la poésie Les mythes anciens contiennent des vérités sur la condition humaine, que les religions, au cours des siècles, se chargent d’obscurcir. C’est à la poésie de les remettre en jour. L’Histoire, elle, demande à être lue de telle sorte que les vivants trouvent leur place dans sa continuation : à la lumière de la poésie. Les deux ouvrages nouvellement parus d’un des plus grands poètes arabes contemporains, Adonis, répondent à cette attente.
Le plus récent s’inscrit dans la lignée de Commencement du corps et fin de l’océan (voir les Lettres Françaises, janvier 2005). Le mot corps figure dans les deux titres, mais, après le chant d’amour lumineux, Histoire qui se déchire sur le corps d’une femme est « crépuscule total », drame de la femme répudiée, bannie avec son enfant.
Son histoire est rapportée dans la Bible. La servante égyptienne Agar est poussée dans le lit d’Abraham, dont la femme Sara est inféconde, pour lui donner une descendance. Ainsi naît Ismaël. Mais Sara enfante à son tour et fait chasser Agar, non sans l’humilier et la faire exciser. Le fils légitime deviendra le père de la tribu d’Israël, le fils renié celui de la tribu arabe.
Le poème est à plusieurs voix : une femme et son fils - Agar et Ismaël, donc, bien que non nommés -, un homme, occupé à tourner les pages d’un livre, un narrateur et un choeur. La femme protège l’enfant, trouve la source au moment où il va mourir de soif dans le désert, cela, la Bible le dit. Mais, à côté de son rôle de mère, elle proclame sa féminité et son droit au plaisir : « Argile d’amour est mon corps, à toi je me livre. » Elle refuse d’être uniquement « le récipient du sperme », « champ et labour » et exhale sa plainte : « Mon angoisse est que ma tête est emplie de toi, / toi qui étais mon époux, pleine / de vide, envahie par un Seigneur dont j’ai servi l’autel de sa demeure / et je fus excisée à sa porte. » La plainte s’élargit au-delà de celle qui la profère : « Mon lit, / une nation esclave qui se multiplie la nuit et dévore ses enfants pendant le jour. »
Les dernières pages s’éloignent du récit des Écritures : la femme et l’enfant sont lapidés à mort par la cohue. Que faut-il entendre ?
La postface de la traductrice, Houria Abdelhouaed, est à lire absolument. Elle ne fait pas que rappeler les éléments transmis par les écrits sacrés, elle éclaire aussi ce que ne dit pas le récit biblique, et le Coran encore moins. La genèse ne voit en Agar que la mère d’Ismaël, ne s’intéresse pas à elle et à sa vie. Le Coran ne cite ni son nom, ni son histoire. Ce silence « en dit long sur l’absence du féminin dans la construction de l’origine ».
Revenons au poème. Agar est rejetée et mutilée dans et par le récit des livres sanctifiés des deux religions : « J’ai retrouvé le chemin et me suis perdue. Comment ? Pourquoi leurs écrits disent-ils que mon corps est une guenille ? » Un peu avant, on peut lire dans une même page : « Je m’enlise jusqu’aux genoux. Marécages. Et ma terre disparaît sous les écritures » et « Alors surgit, ou bien j’imagine, une diablesse (…). Sa ruse est immense ! De ses hanches surgissent tous ses versets ». Égarée dans le désert, effacée dans les Livres, Agar dit à son corps : « Fais halte auprès d’un palmier, abrite-toi et lis à son ombre la poésie ». L’appel à la poésie se retrouve encore ailleurs, associé à la féminité et à l’amour. L’opposition est radicale entre la tradition religieuse et la poésie. C’est à celle-ci de faire revivre Agar et Ismaël : « Des ténèbres elle et son fils sont / prisonniers (…). Trace-leur la voie, ô Poète ! Guide-les. » Paru peu auparavant, le Livre (al-Kitâb), de même traduit et présenté par Houria Abdelhouaed, est le premier tome d’une trilogie qui entreprend un « voyage épique à travers l’histoire arabe » et se veut une « autre manière de lire poétiquement cette histoire ». De cette entreprise impressionnante, nous n’avons pas la prétention de faire l’analyse, ce qui demanderait des connaissances approfondies dans un grand nombre de domaines. À commencer par la poésie arabe classique : Le Livre se présente sous l’égide du grand poète al Mutarrabî (915-965). Il évoque une période tourmentée, violente, après l’instauration du califat. Il n’est jamais pur récit : dans certaines pages, face au narrateur qui dit les événements, les scènes d’atrocité, le poète chante la vie, l’amour, refuse les massacres. Dans d’autres pages, poète et narrateur ne font qu’un. À défaut d’en parler savamment, nous voulons souligner qu’à travers les formes plurielles de l’écriture se manifeste la force constante de la poésie. En plein temps des assassins, elle crée un monde humain, pour le présent et pour le futur. « Ni magicien, ni prophète - seul le feu d’une poésie / dans le lieu et de nulle part / flamboie dans l’errance de ce temps. » Tels sont les derniers vers du Livre.
La revue Diérèse propose, comme à son habitude, un large choix de poètes, en commençant par les étrangers. À citer en premier lieu, Margherita Guidacci, Italienne de renom décédée en 1992, dont trois poèmes jusque-là inédits en français sont donnés dans les deux langues. La traduction est de Raymond et Bruno Farina. On remarque aussi, de Tadeusz Rózewicz, quatre poèmes traduits du polonais par Vl. C. Fisera. Les fidèles de la revue : Elizabeth Bishop, Pierre Dhainaut, Richard Rognet, figurent dans ce numéro. moins connu, Étienne Ruhaud consacre ses Petites Fables à des créatures merveilleuses. Le poète Henri Droguet donne un récit intitulé : « On se les gèle », proféré par un SDF. Les études et notes critiques sont abondantes et faites avec sérieux.
Diérèse
n° 39, hiver 2007. 8, avenue Hoche, 77330 Ozoir-la-Ferrière. 256 pages, 9 euros.
Histoire qui se déchire sur le corps d’une femme,
d’Adonis. Traduction de l’arabe et postface de Houria Abdelhouaed. Mercure de France, 2008. 146 pages, 15 euros.
Le livre (al-Kitâb),
d’Adonis. Traduit de l’arabe et préfacé par Houria Abdelhouaed. Le Seuil, 2007. 398 pages, 25 euros.
Chronique poésie de Françoise Hàn. Les mythes, l’histoire, la poésie Les mythes anciens contiennent des vérités sur la condition humaine, que les religions, au cours des siècles, se chargent d’obscurcir. C’est à la poésie de les remettre en jour. L’Histoire, elle, demande à être lue de telle sorte que les vivants trouvent leur place dans sa continuation : à la lumière de la poésie. Les deux ouvrages nouvellement parus d’un des plus grands poètes arabes contemporains, Adonis, répondent à cette attente.
Le plus récent s’inscrit dans la lignée de Commencement du corps et fin de l’océan (voir les Lettres Françaises, janvier 2005). Le mot corps figure dans les deux titres, mais, après le chant d’amour lumineux, Histoire qui se déchire sur le corps d’une femme est « crépuscule total », drame de la femme répudiée, bannie avec son enfant.
Son histoire est rapportée dans la Bible. La servante égyptienne Agar est poussée dans le lit d’Abraham, dont la femme Sara est inféconde, pour lui donner une descendance. Ainsi naît Ismaël. Mais Sara enfante à son tour et fait chasser Agar, non sans l’humilier et la faire exciser. Le fils légitime deviendra le père de la tribu d’Israël, le fils renié celui de la tribu arabe.
Le poème est à plusieurs voix : une femme et son fils - Agar et Ismaël, donc, bien que non nommés -, un homme, occupé à tourner les pages d’un livre, un narrateur et un choeur. La femme protège l’enfant, trouve la source au moment où il va mourir de soif dans le désert, cela, la Bible le dit. Mais, à côté de son rôle de mère, elle proclame sa féminité et son droit au plaisir : « Argile d’amour est mon corps, à toi je me livre. » Elle refuse d’être uniquement « le récipient du sperme », « champ et labour » et exhale sa plainte : « Mon angoisse est que ma tête est emplie de toi, / toi qui étais mon époux, pleine / de vide, envahie par un Seigneur dont j’ai servi l’autel de sa demeure / et je fus excisée à sa porte. » La plainte s’élargit au-delà de celle qui la profère : « Mon lit, / une nation esclave qui se multiplie la nuit et dévore ses enfants pendant le jour. »
Les dernières pages s’éloignent du récit des Écritures : la femme et l’enfant sont lapidés à mort par la cohue. Que faut-il entendre ?
La postface de la traductrice, Houria Abdelhouaed, est à lire absolument. Elle ne fait pas que rappeler les éléments transmis par les écrits sacrés, elle éclaire aussi ce que ne dit pas le récit biblique, et le Coran encore moins. La genèse ne voit en Agar que la mère d’Ismaël, ne s’intéresse pas à elle et à sa vie. Le Coran ne cite ni son nom, ni son histoire. Ce silence « en dit long sur l’absence du féminin dans la construction de l’origine ».
Revenons au poème. Agar est rejetée et mutilée dans et par le récit des livres sanctifiés des deux religions : « J’ai retrouvé le chemin et me suis perdue. Comment ? Pourquoi leurs écrits disent-ils que mon corps est une guenille ? » Un peu avant, on peut lire dans une même page : « Je m’enlise jusqu’aux genoux. Marécages. Et ma terre disparaît sous les écritures » et « Alors surgit, ou bien j’imagine, une diablesse (…). Sa ruse est immense ! De ses hanches surgissent tous ses versets ». Égarée dans le désert, effacée dans les Livres, Agar dit à son corps : « Fais halte auprès d’un palmier, abrite-toi et lis à son ombre la poésie ». L’appel à la poésie se retrouve encore ailleurs, associé à la féminité et à l’amour. L’opposition est radicale entre la tradition religieuse et la poésie. C’est à celle-ci de faire revivre Agar et Ismaël : « Des ténèbres elle et son fils sont / prisonniers (…). Trace-leur la voie, ô Poète ! Guide-les. » Paru peu auparavant, le Livre (al-Kitâb), de même traduit et présenté par Houria Abdelhouaed, est le premier tome d’une trilogie qui entreprend un « voyage épique à travers l’histoire arabe » et se veut une « autre manière de lire poétiquement cette histoire ». De cette entreprise impressionnante, nous n’avons pas la prétention de faire l’analyse, ce qui demanderait des connaissances approfondies dans un grand nombre de domaines. À commencer par la poésie arabe classique : Le Livre se présente sous l’égide du grand poète al Mutarrabî (915-965). Il évoque une période tourmentée, violente, après l’instauration du califat. Il n’est jamais pur récit : dans certaines pages, face au narrateur qui dit les événements, les scènes d’atrocité, le poète chante la vie, l’amour, refuse les massacres. Dans d’autres pages, poète et narrateur ne font qu’un. À défaut d’en parler savamment, nous voulons souligner qu’à travers les formes plurielles de l’écriture se manifeste la force constante de la poésie. En plein temps des assassins, elle crée un monde humain, pour le présent et pour le futur. « Ni magicien, ni prophète - seul le feu d’une poésie / dans le lieu et de nulle part / flamboie dans l’errance de ce temps. » Tels sont les derniers vers du Livre.
La revue Diérèse propose, comme à son habitude, un large choix de poètes, en commençant par les étrangers. À citer en premier lieu, Margherita Guidacci, Italienne de renom décédée en 1992, dont trois poèmes jusque-là inédits en français sont donnés dans les deux langues. La traduction est de Raymond et Bruno Farina. On remarque aussi, de Tadeusz Rózewicz, quatre poèmes traduits du polonais par Vl. C. Fisera. Les fidèles de la revue : Elizabeth Bishop, Pierre Dhainaut, Richard Rognet, figurent dans ce numéro. moins connu, Étienne Ruhaud consacre ses Petites Fables à des créatures merveilleuses. Le poète Henri Droguet donne un récit intitulé : « On se les gèle », proféré par un SDF. Les études et notes critiques sont abondantes et faites avec sérieux.
Diérèse
n° 39, hiver 2007. 8, avenue Hoche, 77330 Ozoir-la-Ferrière. 256 pages, 9 euros.
Histoire qui se déchire sur le corps d’une femme,
d’Adonis. Traduction de l’arabe et postface de Houria Abdelhouaed. Mercure de France, 2008. 146 pages, 15 euros.
Le livre (al-Kitâb),
d’Adonis. Traduit de l’arabe et préfacé par Houria Abdelhouaed. Le Seuil, 2007. 398 pages, 25 euros.
FONTE: l'Humanité - Paris,France
Nenhum comentário:
Postar um comentário