terça-feira, fevereiro 19, 2008

Le son et l’essence - Florian Pennanech

Stéphane Mallarmé (Manet) en 1876 in www.corpusetampois.com

Le son et l’essence
Florian Pennanech


Éric Benoit, Néant sonore. Mallarmé ou la traversée des paradoxes, Genève,
Droz, coll. « Histoire des idées et critique littéraire », vol. 432, 2007, 222 p.

L’essai d’Éric Benoit se présente comme un recueil d’articles, principalement issus de l’indispensable revue Modernités de l’université de Bordeaux iii, mais aussi d’autres revues, d’actes de colloques, le tout complété par trois inédits. L’ouvrage couvre l’ensemble des l’œuvre de Mallarmé, partagée en deux continents, comme le signalent les intertitres de la première partie, « Autour des Poésies », et de la seconde, « Vers le Livre ». Le tour de force consiste ici à proposer une telle vue d’ensemble en évitant le tour d’horizon superficiel, de sorte qu’il sera aussi bien utile pour le néophyte qui veut s’initier à l’œuvre du poète que profitable pour le spécialiste qui découvrira un essai personnel, développant un certain nombre de thèmes particuliers tout en les rapportant constamment à une poétique générale. Cette manière de réussir sur les deux tableaux se perçoit à d’autres points de vue, par exemple dans la présence de l’analyse philosophique sans céder à l’excès d’érudition (on reconnaît la veine heideggérienne, mais un lecteur peu au fait des écrits du philosophe s’y retrouvera sans peine), ou dans le fait que la réflexion prolonge des tentatives antérieures sans multiplier les références.

L’introduction signale un déplacement dans la question posée à la poésie de Mallarmé : il s’agit selon les mots de l’auteur de passer de la question « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » à la question « comment peut-il y avoir quelque chose plutôt que rien ? » L’écriture de Mallarmé sera donc envisagée comme création ex nihilo, sur le modèle « onto-théologique » de la création du monde selon le récit biblique, transposé dans l’ordre « poétique et esthétique », transposition d’autant plus aisée que la création divine est d’abord un fait de langage performatif. L’essai se propose d’explorer une « esthétique de l’aporie », marquée par le paradoxe d’une naissance à partir du néant, ou à partir de sa propre impossibilité. On comprend donc que la perspective ainsi que la méthode sont des plus classiques, ce qui fait la paradoxale originalité de l’essai, puisqu’il ose reprendre à nouveaux frais des questions maintes fois traitées par les grands classiques de la lecture philosophique de Mallarmé (Blanchot, Derrida et tant d’autres). Tout commentaire contemporain de Mallarmé programme sans doute de la sorte une lecture en palimpsestes qui constitue une véritable traversée de la réception du poète depuis les années 1950, laquelle se confond exactement avec la théorie de la littérature.

La première partie « Autour des Poésies » offre de multiples cheminements au sein du recueil. Le chapitre premier entend rendre compte d’un « itinéraire spirituel et esthétique dans les premiers poèmes des Poésies », et propose à cette fin de distinguer trois états desdits poèmes, à savoir : la première version datant des années 1862-1865, la seconde correspondant à des publications ultérieures (notamment celle de 1887), moyennant des remaniements d’importance variable, la troisième, élaborée dans les années 1890, parue en 1899 à titre posthume, et constituant l’édition de référence actuelle. Parmi les modifications apportées, c’est de l’ordre de présentation des poèmes que l’auteur s’applique à déceler la nécessité, et partant le sens, en s’efforçant d’envisager la façon dont Mallarmé a, par ce truchement, mis en scène son propre parcours. Celui-ci est restitué par le parcours du lecteur lui-même, qui considère les poèmes mentionnés dans leur succession pour se livrer à une série de microlectures étayées par des remarques sur les relations entre les textes et la façon dont chacun se répond, ainsi que des analyses sur la modification de l’horizon herméneutique de la lecture au fil du temps, en fonction du contexte de publication de l’œuvre — autrement dit la situation de Mallarmé lui-même tel que l’actualité le change. C’est manifestement le cas pour le premier poème, Le Guignon, qui évoque deux figures de poètes, auxquelles Mallarmé s’identifiera successivement au cours de son évolution. Une « distanciation » s’opère ainsi dans la reprise et la recomposition du recueil, qui peut éventuellement accentuer le caractère ironique de certains textes conçus dès leur origine comme des pastiches (ainsi Placet futile). Éric Benoit commente de la sorte Apparition, Le Pitre châtié, Les Fenêtres, Les Fleurs, Renouveau, Angoisse, à partir des ruptures de registres qui s’opèrent d’un poème à l’autre et marquent les fluctuations d’une poétique. Un même ensemble d’énoncés se voit ainsi conféré un sens différent selon sa date de parution (Pierre Ménard n’est pas si loin). « Las de l’amer repos… » est caractérisé de ce point de vue comme un texte faisant office de frontière et de charnière, se scindant lui-même en deux exactes moitiés de quatorze vers, énonçant tour à tour l’ancienne et la nouvelle esthétique. Le déplacement de ce poème d’une position finale à une position intermédiaire (à mi-chemin du Guignon et de Don du poème) emblématise selon l’auteur le caractère « cyclothymique », non linéaire, que s’efforce de figurer le poète en reconstruisant a posteriori son parcours. Les poèmes suivants présenteront donc une récurrence des thèmes anciens, indexant la rémanence de l’ancienne esthétique et l’impossibilité de concevoir le parcours comme un progrès. Les analyses du Sonneur, de Tristesse d’été, L’Azur, Brise marine, Soupir et Aumône s’efforcent ainsi d’en mettre en relief l’inspiration baudelairienne latente. Aussi l’« itinéraire » apparaît-il comme un entrelacs d’« auto-représentation » et d’« auto-distanciation », et l’étude des poèmes dans leur individualité, dans leurs relations au sein du recueil, en synchronie, comme en diachronie, au fil des reconfigurations

Le chapitre 2 prend la suite du chapitre précédent en abordant la genèse de l’« esthétique poétique de Mallarmé » à partir de la « crise » des années 1865-1870. Le commentaire d’Hérodiade introduit le thème du néant, dont la « découverte » est à la fois linguistique et métaphysique : le néant n’est autre que le « Néant de Dieu », puis le néant du moi qu’énonce la fameuse « disparition élocutoire du poète ». La création poétique, au sortir de cet expérience décevante de l’absolu, fait désormais fond sur un idéalisme sans idéal, une tension vers une vacance. L’essai s’intéresse alors à la question de la « transposition » du monde en « notion pure », fondée sur la célèbre distinction des deux états du langage. La poésie permet de donner une nécessité, c’est-à-dire un sens, au monde, que ne lui donne plus le Dieu créateur. Une comparaison entre le Coup de dés de 1897 et les Poésies permet d’illustrer la persistance de ce motif.

Le chapitre 3 s’interroge pour sa part sur l’association topique entre « la chair et l’art », et la dissociation qui s’opère dans les Poésies, en analysant principalement Le Pitre châtié, Brise marine et Soupir, et en montrant les divers rapports qui se tissent entre les deux termes. De même, c’est en modulant les types de rapports que la chair et l’art peuvent entretenir, de la conciliation au conflit, que sont lues les diverses allégories de la poésie dans Don du Poème et Hérodiade. Enfin, c’est comme emblématiques de la quête d’un fragile équilibre, qui semble s’instaurer précairement dans Toast funèbre, que sont lus les derniers poèmes du recueil.

Le chapitre 4 entend quant à lui revenir sur la notion si typiquement mallarméenne de « fiction » en examinant les diverses apparitions du terme, à partie de la première, située dans les Notes rédigées vers 1869 et contenue dans la célèbre formule « toute méthode est une fiction ». En cette occurrence, le terme peut être compris comme désignant une virtualisation par le langage, conformément à l’esthétique symboliste. Toutefois, Éric Benoit insiste sur l’ambivalence du terme, qui désigne aussi la capacité de créer quelque chose qui n’existe pas. Feindre, mais aussi forger, tels sont les deux aspects de la « fiction » que l’auteur ne manque pas de traduire en termes ontologiques comme l’alliance du non-être et de l’être. La mise au point terminologique ouvre la possibilité d’une description du « monde virtuel des Poésies » : le commentaire propose derechef une série de microlectures, du Monologue du faune, du Triptyque, de Petit air i et Petit air ii, en s’attachant à relever les formes syntaxiques et stylistiques du potentiel, du virtuel, de l’hypothétique. L’étude de l’avant-dernier sonnet « À la nue accablante… » permet de conclure sur l’idée d’un mimétisme entre le thème de la virtualisation et la lecture d’un texte dont le sens résiste, le processus herméneutique, de conjectures en conjectures, correspondant au principe même de la fiction.

Le chapitre 5 (inédit) est un commentaire de la Prose pour des Esseintes de facture traditionnelle (il s’agit de proposer des « clefs de lecture » afin de rendre le poème plus intelligible), qui propose des interprétations novatrices sur ce texte dont la réputation d‘obscurité n’est plus à faire (Éric Benoit cite en note un nombre impressionnant d’exégètes dont la libido herméneutique a pu être éveillée par lui).

C’est en revanche à l’ensemble du recueil qu’est consacré le chapitre 6 (inédit) qui évoque la thématique du « drame solaire » telle qu’on la trouve, disséminée, dans divers poèmes. À partir d’une note ajoutée par Mallarmé à sa traduction des Dieux antiques de G. W. Cox, et qui indique que pour les « peuples primitifs », le coucher du soleil induisait une angoisse du néant (rien n’était moins sûr que le fait qu’il se lève de nouveau), le critique construit tout un réseau de motifs liés au vespéral et au crépusculaire, puis au nocturne et au ténébreux, avant de s’intéresser à l’aurore comme symbole de la gloire poétique.

« La poésie et le sens du monde », tel est l’objet du chapitre 7, qui se présente comme une glose de la célèbre définition de la poésie donnée dans la lettre du 27 juin 1884 à Léo d’Orfer :

Je balbutie, meurtri : La Poésie est l’expression, par le langage humain ramené à son rythme essentiel, du sens mystérieux des aspects de l’existence : elle doue ainsi d’authenticité notre séjour et constitue la seule tâche spirituelle1.

Cette définition est commentée à travers la lecture de plusieurs poèmes. Ainsi, au refus du monde, incarné par le personnage d’Hérodiade, qui se heurte à l’ironie de la Nourrice et prend conscience de la nécessité du regard de l’autre que symbolise Jean, succède sa « revalorisation », qu’exprime Don du poème, mais aussi la déploration de sa fragilité que la poésie est chargée de conjurer, ce qu’illustrent à leur tour Toast funèbre et Salut. Parallèlement, les Poésies ne cessent de mettre en scène les formes du langage inessentiel : inauthenticité de l’homme de la foule, « blasphème » de l’esthétique réaliste, tout en réalisant, elles-mêmes, les formes du langage essentiel, ce qui est aperçu notamment grâce à l’analyse du rythme dans Sainte. Le chapitre se clôt une fois encore, conformément à la perspective d’ensemble inscrite dès le titre de l’essai, sur un paradoxe : la nécessité, pour atteindre l’être, de passer par le néant, d’où le recours au motif orphique.

La deuxième partie de l’ouvrage, « Vers le Livre », propose d’abord de s’interroger sur l’« eschatologie esthétique » de Mallarmé. Le chapitre 8 s’ouvre sur une caractérisation d’une épistémé propre au xixe siècle, où l’univers paraît voué à l’entropie. On retrouve le thème de la « mort solaire » déjà rencontré précédemment, et qui parcourt l’essai en affleurant dans divers chapitres. Il semble que le thème soit ainsi perçu implicitement comme un symbole renvoyant à toute une « vision du monde » typique d’un époque, et dont on retrouve la trace dans un ensemble d’œuvres, de Nerval à Villers de l’Isle-Adam, de Flaubert à Poe, à Laforgue, à Schopenhauer, à Baudelaire, et encore à Valéry, mais déjà chez Balzac, où l’épuisement du monde est liée à la dégradation des mœurs. Cette « double filiation, épistémologique et morale», peut alors être relevée en maints lieux chez Mallarmé. Ce relevé permet d’évoquer le poème en prose de 1864 Le Phénomène futur, et de le rapprocher du Coup de dés de 1897, et de reprendre la question du salut (à partir précisément du poème Salut) pour montrer que, s’il appartient à la poésie d’achever le monde, cet achèvement ne saurait être lui-même achevé, le hasard n’étant jamais aboli, le Livre étant toujours « processus » et jamais « résultat ».

Le chapitre 9 commente le célèbre poème en prose Le Démon de l’analogie. Comme dans l’étude consacrée à la Prose pour des Esseintes, le commentaire s’inaugure en rappelant la difficulté d’un poème sur lequel tant de critiques se sont exercés (une bibliographie est là encore fournie en note), et en intégrant la difficulté du déchiffrement comme objet de son propre déchiffrement. L’obscurité du poème est ainsi mise en abyme comme symbole d’une théorie du sens. La lecture du poème comme « parabole de l’inspiration », hypertexte du Démon de la perversité d’Edgar Poe, permet d’en approcher le thème central, la correspondance entre le sujet sensible, le langage métaphorique et le monde concret. Un autre rapprochement intertextuel, entre Mallarmé et Breton, permet d’envisager que le mystère dont le poème fait état n’est autre que l’inconscient, en ce temps encore innommé. Un troisième parallèle, cette fois avec l’épisode bien connu (et lui aussi souvent sollicité par la critique) des trois arbres d’Hudimesnil chez Proust, réminiscence avortée car elle échoue à trouver sa source, mais réussie, car elle parvient à identifier le processus de la réminiscence même, permet de voir chez Mallarmé, comme chez l’auteur de la Recherche, un écrivain en quête de cohérence (par quoi, incidemment et implicitement, l’herméneutique que pratique l’essai, en cherchant à démontrer la cohérence des poèmes et leur cohérence par rapport à une « vision du monde », se voit légitimée). Cette cohérence est ensuite traduite comme celle qui peut se manifester entre les trois éléments traditionnellement présent dans le signe linguistique, le signifié, le signifiant et le référent. François Rastier parlerait ici de la « triade aristotélicienne », et un saussurien vétilleux critiquerait peut-être cette association de la dyade signifiant/signifié et du terme « référent » - mais un saussurien vétilleux est toujours malvenu, comme on sait, en territoire mallarméen, sinon pour légitimer le recours aux anagrammes. D’anagrammes, il est justement question par la suite, le chapitre se continuant par une herméneutique du signifiant qui tend à montrer comment le poème laisse pleinement « l’initiative aux mots ». On perçoit dans cette analyse l’affinité fondamentale entre la « rêverie mimologique » et l’idée d’un poème « allégorique de lui-même » (ce qu’est, à l’instar du sonnet en –yx, Le Démon de l’analogie pour Éric Benoît).

Le journal rédigé par Mallarmé en 1874, La Dernière Mode, est l’objet du chapitre 10. L’auteur y étudie la « fonction symbolique des objets », formulant d’abord, en citant Barthes, le paradoxe fondateur : le discours de mode ne saurait être littéraire. Ce paradoxe est cependant résolu moyennant l’éclairage que procure l’esthétique baudelairienne. Sont ainsi déterminés les liens de l’objet à l’Absolu, de la mode à l’Art, du monde à l’Idée. C’est d’abord par l’initiation progressive à une « perception symbolique du monde » que travaille l’écriture de Mallarmé dans les livraisons de la revue. Cette initiation se caractérise notamment par l’apparition de motifs typiquement mallarméens et par là même annonciateurs de développements ultérieurs (ainsi du « blanc » dans le dernier paragraphe du dernier numéro). Les objets peuvent en outre suggérer un « sens caché » : l’étude des bijoux, d’une lampe, d’éléments décoratifs, de l’objet-livre et des bibelots, d’une pantière, des parfums et cosmétiques, d’un chapeau, permet de retrouver des objets d’élection repérables dans d’autres textes, et donnés comme emblématiques d’une esthétique ou d’une poétique. De la même façon la fin du chapitre démontre le symbolisme du vêtement féminin. Ainsi (et la référence à Barthes, traversant l’ensemble du propos, est ici encore indispensable) la Mode est-elle incluse dans la Littérature, la fiction mondaine dans la fiction littéraire. « Le monde est fait pour aboutir soit à un Livre », note l’auteur, « soit à un Grand Magasin », les objets peuvent devenir « notions pures », ou « valeurs marchandes ».

Le chapitre 11, consacré au thème du deuil, évoque les traductions des poèmes d’Edgar Poe avant d’en venir à son sujet essentiel, les feuillets réunis par Jean-Pierre Richard sous le titre Pour un tombeau d’Anatole. C’est à Jean-Pierre Richard lui-même que l’auteur emprunte la formule des « virtualités inaccomplies », qui va permettre d’articuler le thème du deuil et la notion, développée dans plusieurs chapitres précédents, de « virtualisation » comme fondement de la poétique de Mallarmé. Une étude serrée des modes verbaux, des jeux sur le temps, des renversements (à l’aide notamment des métaphores, encore une fois barthésiennes, du « tour d’écrou » et du « tourniquet »), induit une réflexion sur la question de la présence. Au terme de cette lecture, l’auteur peut souligner l’originalité de Mallarmé (par rapport à Baudelaire notamment) et conclure sur la consubstantialité du deuil et de la modernité.

Sous le titre-citation « La “disparition élocutoire du poète” », le chapitre 12 pose la question de la crise du « je lyrique » chez Mallarmé. Le chapitre revient sur le problème de la réflexivité, perçue dans le sonnet en -yx ou le Coup de dés, puis reprise à travers la lecture des premiers poèmes où Éric Benoit traque les marques de l’impersonnalité. La notion hégélienne de Selbstbewusstsein permet de saisir le sens de l’abolition sujet et de son identification à l’absolu qu’illustre à son tour Igitur. La « mise au tombeau » du poète se lit encore dans les brouillons du Livre, où le rôle d’opérateur assigné au lecteur permet de marquer davantage l’effacement du poète. Mais, comme à la fin du chapitre 8, le propos se termine sur une ultime réserve : la part de « hasard » qui demeurera toujours, empêchant l’avènement de l’absolu et l’achèvement du Livre, préserve malgré tout le sujet.

Du Livre, il est principalement question dans le chapitre 13 qui étudie conjointement « discontinuité et linéarité » dans son élaboration. Dans une démarche similaire à celle qu’on l’on a rencontrée au début du chapitre 8, où le xixe siècle était présenté celui de l’entropie, les premières lignes du chapitre s’efforcent de constituer l’image d’un début de xxe où le monde n’est perçu que comme peuplé de « trous, failles, vides, ruptures ». Le Coup de dés, comme le Livre, porteraient cette « cosmologie implicite ». Ainsi le Livre apparaît-il comme un assemblage combinatoire de feuilles, rendu mobile par l’action des opérateurs. Le chapitre prend la suite du précédent, en montrant comment l’« opération » correspond à la réalisation de l’absolu, mais de façon purement « asymptotique », ce qui constitue le « Drame » du Livre qui n’est que « tension vers lui-même », « non pas boucle autotélique achevée, mais spirale intégrant toujours un écart différentiel. » La prise en compte de cet inachèvement de l’achèvement, idée essentielle filée d’un bout à l’autre de l’essai, permet de saisir l’ambivalence fondamentale du Livre.

Le chapitre 14, inédit, constitue une forme d’épilogue en évoquant « la dernière année de Stéphane Mallarmé ». Le chapitre propose de narrer par le menu l’année 1898, mêlant menus faits intimes, considérations historiques et recension des publications. Le récit de la mort du poète, construit notamment à travers le témoignage de Paul Valéry, s’achève sur un renversement, en montrant, à partir d’extraits du poète qui semblent décrire par anticipation l’événement, comment la vie a pu imiter l’œuvre. Ainsi se clôt la réflexion sur la « fiction » et les rapports du monde et de la littérature.

On espère avoir ici rendu compte à la fois de la cohérence de la perspective retenue par l’auteur de cet essai et de la diversité de ses approches. On peut ajouter quelques mots quant aux présupposés qui commandent la démarche de l’ensemble, étant entendu qu’il ne s’agit que de la situer, et en aucun cas de l’invalider. Nous avons, chemin faisant, proposé quelques remarques quant à la méthode de l’interprétation ; on peut souligner de façon plus générale le fait que l’essai est fondé la mise au jour de coïncidences entre un certaine représentation « cosmique » ou « épistémologique » et une certaine configuration poétique. Il faut certes considérer qu’une telle démarche herméneutique se légitime immédiatement par son objet : pour Mallarmé, le Livre est homologique du monde. Néanmoins, une telle légitimation soulève une autre difficulté, puisque le commentaire postule alors une capacité d’auto-interprétation de l’œuvre. En d’autres termes, Mallarmé est à la fois l’objet et la méthode, ce qu’indexe encore le recours aux figures tutélaires de Barthes et du Foucault des Mots et les choses. La quatrième de couverture indique par exemple que l’œuvre de Mallarmé accrédite tel propos de Barthes, dont on sait que toute sa théorie de la littérature, ou peu s’en faut, n’est précisément qu’un développement, moyennant diverses modulations, de conceptions mallarméennes. Le poète est ainsi lu à travers cela même qu’il a suscité. C’est sur ce cercle qu’on conclura, en laissant à chacun le soin — en fonction de ses propres présupposés — de décider s’il l’estime vicieux ou vertueux.
par Florian Pennanech
Publié sur Acta le 19 février 2008
Notes :
1 Cité par l’auteur dans l’édition de Bertrand Marchal, Correspondance complète, 1862-1871, suivi de Lettres sur la poésie, 1872-1898, Gallimard, coll. « Folio classique », 1995, p. 572.

FONTE: Fabula - France

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